Foot Factory

La visite

Ma première « vraie » sortie urbex, un pur régal, 4 heures de visite, seul. Le plan est bien ficelé : réveil à l’aube un dimanche matin pour une arrivée vers 6h30, je sais où je me gare, quelles sont les options pour entrer sur le terrain. Je tiens à y arriver de nuit, cela me semble mieux. Je ne sais pas du tout à quoi m’attendre, tant sur la difficulté à pénétrer à l’intérieur du site ni sur ses conditions de surveillance.

L’entrée et finalement simple, mais j’ai la boule au ventre. Une pluie fine commence à tomber, les animaux des sous-bois s’agitent, la pénombre, un lieu inconnu, des dizaines de corbeaux tournent au dessus de ma tête en coassant. Une trouille indescriptible m’envahit. Une fois dans le bâtiment, dans sa partie la plus récente, les bruits de dilatation et la pluie qui fait résonner cette tôle métallique ne me rassurent pas plus.

Je commence à m’aventurer dans ces immenses rayons d’étagères, vides de production mais dans un état impeccable. Un rapide passage à l’étage, je ne vois rien de plus qu’au niveau inférieur, je ne prends pas le temps de faire le tour. Et pourtant … Bon, clairement, je suis entré par la zone logistique de l’usine, la zone de stockage et d’envoi des produits finis.

C’est assez plaisant, j’y déambule pas encore rassuré. Après en avoir fait le tour, je ressors par où je suis entré pour poursuivre la visite dans les autres bâtiments. Je ne trouve qu’un seul accès qui consiste à ramper dans un vide sanitaire, quelques traces de mes prédécesseurs m’indiquant, que oui, c’est bien le bon chemin. Pleine vue sur un rue principale, bien que peu passante en ce dimanche matin, je ne m’attarde pas et rejoins une partie toujours en extérieur, bien protégée des regards. Je tente un premier bâtiment, mais j’en ressors assez vite, terrifié par tous les pigeons qui en ont fait leur colonie et y volent à leur gré, se souciant peu de ma présence. De retour dans la cour, j’ouvre cette porte qui attire mon attention : elle est simplement « bloquée » par une barre métallique entre la poignée et le sol. J’arrive dans les ateliers de maintenance et tombe nez à nez avec cette imposante et superbe génératrice qui devait fournir une partie de l’énergie nécessaire aux machines de l’usine. J’essaie d’imaginer le vacarme qui devait régner ici quand les pistons tournaient à plein régime.

Il y a énormément de choses dans ces ateliers. Mes clichés sont ratés (il faudra que j’y retourne). Je commence à me sentir plus à l’aise, c’est bon signe pour la suite.

Nouveau bâtiment, nouvelle ambiance, on se rapproche du cœur de la production. Les machines à tisser les plus récentes sont là. Certaines sur des palettes … pour les protéger de l’eau au sol ou en préparation d’une éventuelle expédition dans une contrée lointaine ? C’est grand, c’est calme, c’est beau. Peu de dégradations, la peinture s’écaille d’elle même, un bon siècle après la création de l’usine, pas loin de 10 ans après sa fermeture.

Une rampe mène aux étages supérieurs. Je tombe nez à nez avec une double porte en bois imposante. Je n’avais pas vu cette pièce dans les vidéos qui m’ont permis de localiser l’usine. Appelons-la, la salle du directoire, toute en vitres et boiseries (quelle galère ce contre-jour).

A l’étage supérieur, des pièces dédiées à l’administratif, des dossiers, les archives, la compta. Un partie de l’usine semble plus récente et bien exposée aux regards des voisins, je n’y traine pas trop.

Et puis évidemment on y arrive, la salle rose. Vue et (pourtant) revue (sur écran), elle reste majestueuse et figée. Émerveillement.

Certaines bobines sont encore là, on pourrait penser que les chaussettes pourraient encore être fabriquées, dès demain. La mise en scène, à laquelle je ne touche pas, aide à ce sentiment. Elle reste douce et délicate, respectueuse du lieu.

Avant de repartir, il faut aller voir ce qui se cache au bout de ce long couloir, suivre les rails qui devaient servir à déplacer les cartons remplis de chaussettes une fois le tissage achevé. On arrive ainsi dans une autre zone logistique dont un panneau encore présent indique qu’elle était sous-louée à une autre société.

Les cartons sont toujours bel et bien présents, les visiteurs en ayant fait un terrain de jeu. A force de déambuler, je me rends compte que les étagères servant à l’expédition, celles que j’ai vues en rentrant dans l’usine sont accessibles par ici. J’aurais pu faire la visite sans ressortir. Au moins, je connais maintenant le chemin de la sortie.

De retour à ma voiture, je fais le tour de l’usine pour quelques prises de vues de l’extérieur, depuis la route et me gare juste après la grande grille de l’entrée principale. Je sors mon appareil pour regarder ce que j’ai saisi, et sirote un petit café. Une autre voiture se gare. Son conducteur passe à côté de moi et me regarde, méfiant. Il sort des clés de sa poche … et ouvre la grille de l’usine. J’ai du être aperçu lorsque j’étais dans la partie exposée. Je file et finirai mon café sur un parking de la nationale qui me reconduit chez moi. Sur le chemin du retour, je repense à la finesse et à la précision de ces machines.

L’histoire du lieu

Sans révéler trop d’indices, l’activité de cette merveilleuse usine débute dans la première moitié du XIXè siècle. A l’époque, la production bonnetière n’est pas totalement centralisée, mais éclatée dans les villages autour su site principal : la quasi totalité du tissage se fait à domicile, avec du financement ou des prêts de machines. Dans l’usine « mère » sont concentrées les fonctions administratives et de gestion de l’activité, ainsi que les ateliers mécaniques. Peu avant la Première Guerre Mondiale, seul 1/3 des 1000 employés travaillent sur le site de l’usine. Des voitures font régulièrement la navette vers ces petits ateliers disséminés autour du centre névralgique : ils apportent les matières premières, et récupèrent la production. Les contremaîtres s’assurent également du niveau de qualité de cette production réputée (mondialement) et de la bonne tenue des ateliers.

Le village d’implantation est fortement marqué par le rayonnement local de l’usine. Le directeur, en bon paternaliste social comme l’époque en connaissait, construira logements individuels et collectifs, et facilitera l’installation de commerces de proximité (boucherie, boulangerie, …) en offrant des conditions avantageuses à ces artisans. La santé est également prise en charge par l’industriel qui installe dentiste, infirmières et médecin dans les locaux de l’usine. Caisses de Prévoyance et de Retraite viennent compléter le tout. Les loisirs sont également pris en charge par l’entreprise : stade, salle des fêtes et cinéma. La Commune bénéficiera aussi d’aménagements techniques et patrimoniaux (église, école, …) financés par la famille d’industriels. Certains services réservés aux employés dans un premier temps, seront ensuite ouverts à tous les habitants : garderie, pompiers, eaux usées …

La crise du textile des années 1980 marquera le début du déclin de cette belle aventure qui emploiera jusqu’à 1700 salariés. Les usines satellites ferment, le réseau des ateliers familiaux ne survivra pas après 1999, à l’aube du nouveau millénaire. L’entreprise se voit contrainte de céder à la Commune une partie de son patrimoine immobilier, et, se verra finalement placée en redressement judiciaire au début des années 2000. Cédée à un groupe haut de gamme, la production sera finalement délocalisée quelques années plus tard, les dernières heures de l’usine ont sonné. Elle fermera définitivement ses portes en 2011, licenciant la cinquante de salariés restant.

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